Henri Matisse, Fenêtre Ouverte, Collioure

Henri Matisse, Fenêtre ouverte, Collioure, 1905, huile sur toile, 55,3 x 46 cm (National Gallery of Art, Washington)

Une explosion de couleurs

Dans la Fenêtre ouverte d’Henri Matisse, Collioure les battants d’une grande porte-fenêtre se projettent vers nous pour révéler une explosion de couleurs méditerranéennes brillantes. La peinture est appliquée très librement; même en reproduction, nous pouvons voir presque tous les coups de pinceau. La peinture a l’air d’avoir été faite hier, et à certains endroits (comme en bas à droite où la toile nue est visible), semble inachevée. Nous pouvons imaginer le processus de travail de Matisse coup de pinceau par coup de pinceau, et nous sommes là avec lui pour répondre avec enthousiasme à la richesse des couleurs et de la lumière d’une ville balnéaire méditerranéenne en été.

Bien que le style implique un processus de peinture rapide ou même glissant, Fenêtre ouverte, Collioure a été soigneusement orchestrée dans tous les aspects, de la composition aux relations de couleur et à l’application de la peinture. La fenêtre est placée légèrement décentrée vers la gauche, ce qui donne à la composition une sensation décontractée, en accord avec la qualité de frappe des coups de pinceau. Cette apparente désinvolture repose toutefois sur une structure calculée de rectangles répétitifs et imbriqués qui crée à la fois un motif de surface solide et une série de « fenêtres » internes. »

Henri Matisse, Fenêtre ouverte, Collioure, détail, 1905, huile sur toile, 55.3 x 46 cm (National Gallery of Art, Washington)

La zone la plus brillante du tableau, la vue centrale des bateaux dans le port, est encadrée par certains des tons les plus sombres du tableau dans le cadre littéral de la fenêtre et un motif de vignes à feuilles vertes. Autour de cette vue centrale se trouvent plusieurs vitres subsidiaires. Deux fenêtres à tableau arrière en haut encadrent plus de vues sur la fenêtre du porche et les vignes. Les vitres des fenêtres à battants reflètent à la fois la vue à l’extérieur de la porte-fenêtre et les couleurs des murs.

Des couleurs brillantes ricochent et résonnent sur la toile. Matisse utilise des contrastes de couleurs complémentaires tout au long, mettant en valeur ses rouges et ses roses brillants avec des verts frais. Les murs sont fuchsia et verts, et les vitres supérieures des battants reflètent la couleur du mur opposé, augmentant l’intensité des teintes par contraste. Un contraste de couleurs similaire s’intensifiant mutuellement apparaît où la bande verticale de peinture orange vif, représentant peut-être un rideau, est brossée à côté de la bande outremer sombre du cadre de la fenêtre. Des motifs variés de coups de pinceau rose pâle et turquoise représentent la mer et le ciel dans la vue par la fenêtre.

Niant l’illusion de la profondeur

Fenêtre ouverte, Collioure s’engage, et finit par saper, la conception post-Renaissance d’un tableau comme une fenêtre. Le dessin de la fenêtre de Matisse souligne son rôle de dispositif de cadrage situé dans un espace tridimensionnel. Les battants s’ouvrent vers l’intérieur, créant une vue en perspective menant à l’ouverture de la fenêtre. Le balcon avec des pots de fleurs au sol est un espace intermédiaire peu profond entre la pièce et la vue sur le port, qui atteint l’horizon. Cependant, toutes ces indications de profondeur spatiale sont annulées par l’application de la couleur et de la peinture, qui soulignent la surface plane de la toile et ne parviennent pas à créer une scène illusionniste convaincante. Nous n’oublions jamais que nous regardons un tableau et non par une fenêtre.

Henri Matisse, Fenêtre ouverte, Collioure, 1905, huile sur toile, 55.3 x 46 cm (National Gallery of Art, Washington)

Les coups de pinceau très visibles et les zones de toile non peinte sont la manière la plus évidente dont Matisse nous nie l’illusion de la réalité, mais son utilisation de la couleur est également importante. Non seulement il est extrêmement lumineux et plat, sans les modulations de clair-obscur traditionnellement utilisées pour suggérer le volume et la profondeur, mais il subvertit également à plusieurs reprises la différenciation claire du premier plan et de l’arrière-plan. Par exemple, les mâts éloignés des bateaux dans le port et les verticales beaucoup plus proches des cadres de fenêtres créent un motif de surface de verticales orange vif et rouge. Les rouges et les oranges les plus éloignés ne sont pas mis en sourdine pour indiquer la profondeur à travers la perspective atmosphérique. De même, les coups de pinceau bleu foncé et vert représentant les coques des bateaux sont repris par les coups de peinture bleu foncé et vert utilisés pour indiquer les bords des cadres de fenêtres et divers objets au premier plan.

Gustave Caillebotte, Homme sur un balcon: Boulevard Haussmann, 1880, huile sur toile, 116 x 89 cm (Collection privée)

Un coup d’œil à l’Homme sur un balcon de Gustave Caillebotte sur le plan de la composition : Boulevard Haussmann montre à quel point Matisse sape complètement la représentation de la profondeur de perspective. La scène naturaliste de Caillebotte fait clairement la distinction entre l’espace de premier plan dominant plus sombre du balcon et la vue des bâtiments éclairés par le soleil qui descendent le long du boulevard. Dans la Fenêtre ouverte de Matisse, Collioure, la vue lointaine du port domine, et elle est encadrée par la fenêtre comme s’il s’agissait elle-même d’un tableau. Il n’a pas de relation spatiale définie avec le premier plan, contrairement à la vue de Caillebotte sur le boulevard où nous pouvons déterminer avec précision la relation du balcon à la vue.

Le Salon d’Automne de 1905

Fenêtre ouverte, Collioure est l’un des nombreux tableaux que Matisse expose avec un groupe d’amis au Salon d’Automne de 1905 à Paris. Un critique d’art sympathique, Louis Vauxcelles, a nommé par inadvertance le groupe lorsqu’il a décrit l’effet de leurs peintures brillamment colorées accrochées aux murs entourant deux sculptures classicisantes comme étant comme Donatello parmi les fauves (bêtes sauvages). Le nom est venu refléter l’extrême réaction du public aux peintures, qui étaient largement considérées comme dérangeantes et scandaleuses. Les critiques conservateurs se sont moqués des peintures dans la presse, mais les peintres fauves ont finalement profité de la notoriété et ont trouvé des marchands, des critiques et des collectionneurs qui soutenaient leur travail.

Henri Matisse, Femme au chapeau, 1905, huile sur toile, 80,6 x 59,7 cm (Musée d’Art Moderne de San Francisco)

Matisse était le chef du groupe, et sa Femme au chapeau était considérée comme la peinture la plus scandaleuse du  » cage fauve » à l’exposition. L’utilisation de couleurs complémentaires brillantes, de pinceaux proéminents et de zones apparemment inachevées est très similaire à Open Window, Collioure, mais leur effet dans ce portrait de femme traditionnellement composé était troublant.

Les touches de peinture grossières, les traits simplifiés et le rendu des ombres sur le visage en turquoise brillant étaient surprenants, même pour les spectateurs habitués aux abréviations picturales et aux couleurs vives de l’impressionnisme et du post-impressionnisme. Les visages de la Journée d’été impressionniste de Morisot et de l’autoportrait post-impressionniste de van Gogh manquent de détails réalistes et attirent l’attention sur les coups de pinceau des artistes, mais la couleur utilisée dans les deux peintures reste bien dans la gamme de la représentation naturaliste par rapport à La Femme au chapeau de Matisse.

En plus des tons agressivement non naturalistes du visage, le style de Matisse dans La Femme au chapeau est brut et disjonctif. La peinture semble inachevée et non résolue, avec certaines parties peintes en empâtement lourd et d’autres à peine brossées. Le jury du Salon a essayé de le persuader de retirer le tableau de sa soumission, mais Matisse a refusé, indiquant qu’il croyait que le tableau était fini et prêt à être exposé.

Le potentiel expressif de la couleur

Henri Matisse, Portrait de Mme Matisse: La Ligne verte, 1905, huile sur toile, 40,5 x 32,5 (Statens Museum for Kunst, Copenhague)

Les peintures de Matisse au Salon d’Automne de 1905 avec leur pinceau disjonctif et leurs couleurs tumultueuses étaient ses œuvres fauves les plus radicales. Après l’exposition, Matisse a continué à utiliser des couleurs vives non naturalistes, mais son application de peinture est devenue plus cohérente et ses couleurs moins chaotiques. Dans Portrait de Mme Matisse: La Ligne Verte et Bonheur de Vivre les couleurs brillantes sont organisées en zones plus grandes pour maximiser leur intensité. Au cours des années suivantes, il s’intéresse de plus en plus à l’harmonie picturale.

Henri Matisse, Bonheur de Vivre, 1905-06, huile sur toile, 176,5 x 240,7 cm (The Barnes Foundation, Philadelphia)

Dans ses « Notes d’un peintre » Matisse de 1908 a écrit :

Tout au long de sa carrière, Matisse s’est consacré au potentiel expressif de la couleur :  » Mon choix de couleurs est basé sur l’observation, sur la sensibilité, sur les expériences ressenties. . . . J’essaie simplement de mettre des couleurs qui rendent ma sensation. . . un moment vient où toutes les parties ont trouvé leurs relations définies. . .. »

Bien que « Notes of a Painter » ait été écrit quelques années après que Matisse ait peint Open Window, ces passages indiquent qu’il équilibrait trois projets différents. Il essayait d’être sensible (1) aux informations perceptives qu’il recevait du motif, (2) aux sentiments qu’il en tirait et (3) aux qualités formelles décoratives de l’œuvre d’art elle-même. La mise en jeu des trois permet à la Fenêtre ouverte de se lire simultanément comme une fenêtre sur l’espace réel, un plan plat recouvert de couleurs harmonieuses et une expression de la chaleur joyeuse d’une journée méditerranéenne.

Henri Matisse, Fenêtre ouverte à Collioure, 1914, huile sur toile, 116,5 x 89 cm (MNAM – Centre Pompidou, Paris)

La Fenêtre ouverte était l’une des peintures Fauves les plus radicales de Matisse, mais c’est aussi un exemple de son dévouement durable à la couleur expressive et à l’harmonie picturale. Matisse a peint de nombreuses fenêtres tout au long de sa carrière, y compris La Fenêtre bleue et La Leçon de piano, et elles reflètent les variations de son style au fil du temps. La Fenêtre Ouverte de 1905 représente l’exubérance à peine contenue de sa période Fauve, tandis qu’une seconde version de Fenêtre ouverte à Collioure peinte en septembre 1914 juste après le début de la Première Guerre mondiale traduit l’ambiance de ces jours sombres.

Notes:

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