Les Limites de l’authenticité

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Ben G. Yacobi demande s’il est possible de vivre authentiquement.

On nous dit: « À toi-même, sois vrai! »Mais que voulons-nous dire si nous disons que quelqu’un est une personne authentique, ou une personne très authentique? L’authenticité personnelle est souvent définie comme étant vraie et honnête avec soi-même et les autres, ayant une crédibilité dans ses paroles et son comportement, et une absence de prétention. Sa signification est alors souvent clarifiée en la comparant à l’inauthenticité, comme comparer la lumière à l’obscurité. Mais en l’absence de critères clairs pour juger de l’authenticité, les frontières entre être authentique et être inauthentique sont amorphes et incertaines, et souvent poreuses.

La quête d’authenticité est en partie liée à l’obtention d’une certaine autonomie et d’une certaine liberté – au désir d’être l’architecte de sa propre vie. La recherche d’authenticité personnelle constitue un antidote au conditionnement extérieur et, dans une certaine mesure, une réaction à l’inauthenticité prévalant dans la culture, la religion, la politique et la vie quotidienne. Un désir d’authenticité est également essentiel pour la découverte de la vérité et pour trouver son accomplissement dans la vie, la rendant plus significative et compréhensible. En général, un état d’inauthenticité peut être une source de dissonance profonde, incitant les gens à essayer de devenir plus authentiques, en harmonie dans leur vie intérieure et extérieure.

Devenir authentique est une mission individuelle, car chaque personne a sa propre façon d’être humaine, et par conséquent ce qui est authentique sera différent pour chaque individu. En outre, l’authenticité personnelle est hautement contextuelle et dépend de diverses caractéristiques sociales, politiques, religieuses et culturelles. Mais la nature unique de chaque individu est mieux vue non pas dans qui il est, mais dans qui il devient, et devenir authentique est un processus continu, pas un événement. Cela implique non seulement de se connaître soi-même, mais aussi de reconnaître les autres et l’influence mutuelle entre les individus. Si la quête de l’authenticité personnelle est juste pour l’épanouissement de soi, alors elle est individualiste et basée sur l’ego; mais si elle est accompagnée de la conscience des autres et du monde au sens large, alors cela peut être un objectif valable.

Philosophies de l’authenticité

Le concept d’authenticité a été exploré à travers l’histoire par de nombreux écrivains, des philosophes grecs anciens aux auteurs des Lumières, en passant par les existentialistes et les théoriciens sociaux contemporains. L’obstacle social à la réalisation de l’authenticité (ou de la réalisation de soi) a été souligné par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), qui a soutenu que l’authenticité personnelle est diminuée par le besoin d’estime des autres dans des sociétés caractérisées par la hiérarchie, l’inégalité et l’interdépendance. Selon Rousseau, l’authenticité provient du moi naturel, tandis que l’inauthenticité est le résultat d’influences extérieures.

Le philosophe existentiel Martin Heidegger (1889-1976) a déclaré que l’authenticité, c’est choisir la nature de son existence et de son identité. Il a également lié l’authenticité à une conscience de la mortalité, car ce n’est qu’en gardant à l’esprit sa mort inévitable que l’on peut mener une vie véritablement authentique. Son projet de réalisation de son identité dans le contexte d’un monde extérieur avec ses influences, implique une relation complexe entre authenticité et inauthenticité, ce qui signifie qu’ils doivent être considérés non pas comme des concepts mutuellement exclusifs, mais comme complémentaires et interdépendants. Heidegger a soutenu que l’authenticité et l’inauthenticité sont des formes fondamentales de l’être dans le monde et qu’elles ne peuvent être séparées.

Un autre existentialiste, Jean-Paul Sartre (1905-80), a soutenu qu’il n’y a pas d’essence immuable au soi, mais que nous avons un libre arbitre qui nous permet une liberté totale de déterminer nos vies à partir des choix disponibles. Selon Sartre, l’existence précède l’essence : en d’autres termes, l’être humain vient d’abord à l’existence puis se définit continuellement, plutôt que de naître avec une nature déjà donnée. Ainsi, pour Sartre, l’authenticité nécessite de prendre l’entière responsabilité de notre vie, de nos choix et de nos actions. Par conséquent, l’anxiété ou « l’angoisse » qui résulte de notre réalisation de notre propre liberté inéluctable fait partie intégrante de la vie authentique. Cependant, il convient de souligner que la liberté de l’individu est contrainte par la nature et la société, ainsi que par leurs propres limites – ce que Sartre a appelé leur « facticité ».

Albert Camus (1913-60) a affirmé que la conscience que nous habitons un univers qui ne se soucie pas de nous et ne nous offre aucun salut oblige l’individu à reconnaître que le seul chemin vers la liberté est l’authentique réalisation de soi. Pour être authentique, il faut être conscient de l’absurdité d’un monde sans morale et sans but objectifs, et créer un sens à la vie par la rébellion contre l’absurdité. Une telle authenticité personnelle émerge d’un mépris pour toute consolation extérieure (inexistante), et implique que l’individu existe dans un exil permanent, aliéné de sa propre vie, de la société et de l’univers.

Néanmoins, le monde n’a aucune inclination spécifique pour le bien ou le mal : il est ce qu’il est. Aucun jugement de valeur ne peut y être attaché, même si la vie n’a pas de sens d’un point de vue humain.

Ces points de vue philosophiques sur l’authenticité personnelle varient, mais il existe un thème commun de l’authenticité personnelle en tant que processus dynamique de devenir sans fin dans une société et un monde en mutation, plutôt qu’un état d’être fixe. Et l’authenticité et l’inauthenticité ne doivent pas être considérées comme des États mutuellement exclusifs, mais plutôt comme des concepts mutuellement dépendants.

Quelques qualifications de base

Le concept d' »authenticité » est une construction humaine et, en tant que tel, il n’a pas de réalité indépendante des esprits. Mais l’authenticité est-elle possible, voire souhaitable ? La question est peut-être trompeuse car elle implique une réponse absolue par oui ou par non et ne fait allusion à aucune possibilité d' »authenticité partielle ». Cela nous oriente vers une interprétation du concept d’authenticité en tant qu’absolu, mais en général la recherche d’absolus est infructueuse. Considérons donc certaines choses qui peuvent limiter l’authenticité absolue.

Certains soutiennent que l’authenticité est impossible à atteindre en tant qu’état d’être continu, car toute authenticité réelle est transitoire et impossible à maintenir indéfiniment. Et comme l’identité, l’authenticité ne peut pas être correctement définie ou mesurée, car de nombreuses caractéristiques d’un individu sont en constante évolution, sans points de référence fixes. Les individus subissent des changements tout au long de la vie avec le déluge d’observations et d’interprétations, de sorte que l’identité humaine est multidimensionnelle et dynamique; c’est un travail en cours plutôt qu’un état fixe. Par conséquent, atteindre une certaine mesure d’authenticité personnelle est un projet de toute une vie qui pourrait ne jamais être pleinement accompli. L’authenticité personnelle implique des principes et des idéaux qui sont continuellement réévalués par l’auto-examen et l’interaction sociale, alors qui doit juger si quelqu’un d’autre est authentique ou non? La question clé est la suivante: comment pouvons-nous faire la distinction entre la véritable authenticité et une simple démonstration d’authenticité? Si son « authenticité » est promue, mise en évidence ou exposée, il ne s’agit pas d’une véritable authenticité. L’authenticité ne peut être déclarée, rendue publique, instruite, commercialisée ou échangée comme une sorte de marchandise. Il doit être discret et sans prétention.

Être vrai et honnête envers soi-même et envers les autres est relationnel, et connecté au monde extérieur ainsi qu’à sa vie intérieure. Cependant, pour éviter d’aggraver les autres, il faut observer la nécessité de limiter l’expression de son authenticité dans des situations spécifiques. On peut ainsi distinguer  » authenticité interne  » et  » authenticité externe « . Pour éviter d’accabler les autres avec nos problèmes personnels, nous pouvons souvent être enclins à cacher nos vrais sentiments. La véritable authenticité ne consiste pas à exprimer son moi intérieur avec toute sa gamme d’émotions changeantes dans toutes les situations. Une conscience de soi impartiale dans le moment présent est d’une grande importance, car elle peut améliorer la clarté de son dialogue intérieur et diminuer la portée de l’ego.

Mais être vrai et honnête ne suffit pas. Il existe certains attributs sans lesquels le concept d' »authenticité personnelle » resterait une coquille vide, définie de manière ambiguë et mal comprise, et sans lesquels la quête d’authenticité pourrait en fait devenir préjudiciable aux relations interpersonnelles et à la société. Ces caractéristiques nécessaires à l’authenticité comprennent les capacités d’auto-examen impartial et de connaissance de soi précise; jugement réfléchi; responsabilité personnelle; humilité; empathie et compréhension de l’autre, ainsi qu’une volonté d’écouter les commentaires des autres. La réalisation de l’authenticité personnelle est compliquée par la présence d’illusions et de préjugés, y compris l’auto-tromperie, les vœux pieux et la tendance à se comporter différemment sous observation.

Paradoxes de l’authenticité

C’est un paradoxe que l’on puisse découvrir une certaine mesure d’authenticité personnelle non pas en évitant le monde extérieur, mais seulement en s’y immergeant; et pourtant l’authenticité est obtenue en résistant aux influences extérieures dans sa réalisation de soi. De plus, comme les vies humaines fonctionnent avec des incertitudes, l’authenticité ne peut être découverte que dans l’incertitude. Ainsi, un autre paradoxe est que l’authentique ne peut être atteint que par une immersion dans l’incertitude, mais l’incertitude empêche la découverte du vrai soi, sans laquelle l’authenticité de la connaissance ne peut être atteinte. De plus, toute découverte objective du soi n’est possible que sans idées préconçues et préjugés – mais nous avons tous des idées préconçues et des préjugés. Par conséquent, aucun examen de soi, aussi long et détaillé soit-il, ne peut jamais révéler pleinement sa véritable identité, et donc ce qu’implique réellement l’authenticité. Et des circonstances difficiles peuvent également conduire au doute de soi et à l’insécurité; la vraie connaissance de soi doit tenir compte de cela.

La question est, comment savez-vous vraiment si vous êtes authentique ou non? On ne considère pas consciemment si l’on est authentique tout au long de la vie quotidienne. Mais d’un autre côté, une connaissance complète de soi est impossible: on ne peut pas explorer tout le labyrinthe de la conscience humaine. Et dans une large mesure, les processus cognitifs, tels que la perception et le raisonnement et une grande partie du contenu de la mémoire, sont inaccessibles à la conscience consciente. La tendance est de combler les lacunes entre le connu et l’inconnu avec les faits connus et les pensées sur soi-même, afin de fournir une représentation cohérente. En conséquence, l’auto-examen peut conduire à une auto-représentation inexacte. La capacité de l’esprit humain à examiner de grandes quantités d’informations ou de multiples aspects d’un sujet donné est limitée, conduisant en outre à une compréhension incomplète ou à une représentation erronée de ce qui est observé ou vécu. La connaissance humaine reste toujours incomplète et provisoire, mais sans pleine conscience, aucune authenticité complète n’est réalisable, donc à un moment donné, l’authenticité ne peut être que partielle.

De plus, il y aura coexistence dans un même individu de multiples identités en fonction des rôles que l’individu occupe dans la société, y compris des identités personnelles, professionnelles, culturelles, ethniques, nationales, politiques et religieuses. La dynamique des changements identitaires peut être aussi complexe et imprévisible que les changements de la société, de l’économie et de la politique. Ces facteurs font de toute découverte non ambiguë de l’identité personnelle un défi difficile, d’autant plus que l’analyse est généralement simplifiée et que l’interdépendance complexe des différents éléments est généralement négligée. Cela peut entraîner l’illusion de comprendre l’identité personnelle, et donc un idéal illusoire d’authenticité.

Les jugements et les attitudes humaines sont basés sur l’interprétation des perceptions de la réalité plutôt que sur l’interprétation de la réalité elle-même. Les limites de la perception humaine, de la pensée et de la connaissance de soi sont quelques-uns des principaux obstacles à l’authenticité personnelle. On ne peut jamais arriver à une pleine connaissance de soi, qui est constamment définie et affinée sur la base de nouvelles compréhensions dans le contexte du monde et de ses exigences.

Une autre limite dans la quête d’authenticité est liée au langage utilisé, qui est ouvert à une mauvaise interprétation, et les mots et le langage sont inadéquats pour exprimer tout le spectre de ses pensées et de ses sentiments. Allégories, connotations et métaphores sont les principales sources de malentendus. De plus, les mots et les phrases sont souvent ambigus, ayant plus d’une signification possible. Un langage complètement clair avec une correspondance directe et évidente entre les expériences et les mots n’existe pas. Et les pensées et perceptions changeantes de l’individu sur lui-même peuvent ne pas toujours être compréhensibles, de sorte que leur expression par le langage peut ne pas être cohérente. De plus, le langage pour décrire l’authenticité peut lui-même être arbitraire et peu clair, utilisant souvent des mots ambigus tels que « vrai », « authentique », « original », « réel », « soi » ou « naturel ».

La communication authentique dépend de la capacité des individus à reconnaître ce qui est vrai pour eux-mêmes et de l’adéquation du langage pour exprimer leurs pensées, de sorte que les limites du langage, de l’interprétation et de l’expression entravent leurs relations authentiques les unes avec les autres. Dans de telles communications, il n’est pas toujours évident que l’authenticité ou l’inauthenticité des interactions soit due aux circonstances, à la langue, au sujet, aux participants et à leurs perceptions et interprétations.

Un autre dilemme avec l’authenticité personnelle est lié au fait que la plupart des attributs personnels changent avec le temps, mais l’authenticité personnelle devrait démontrer une certaine cohérence. Cette contradiction apparente implique une exigence de changement et de constance. En d’autres termes, si l’identité d’un individu évolue continuellement, comment peut-on reconnaître ou découvrir le sens de l’authenticité personnelle au cours d’une vie? La valeur de l’authenticité n’est peut-être pas dans sa constance, mais plutôt dans son évolution constante tout au long de la vie de l’individu.

Autres limites à l’authenticité

D’autres facteurs qui peuvent entraver le développement de l’authenticité personnelle incluent le manque de compréhension de l’authenticité, sa programmation antérieure, la peur du rejet et de l’échec, et les pressions sociales pour se conformer (et donc vivre de manière inauthentique). Dans ces derniers cas, les individus essaient généralement de montrer leurs meilleurs visages et d’exprimer ce qu’on attend d’eux afin qu’ils soient perçus sous un bon jour. Dans de nombreuses situations, le besoin de collaboration avec d’autres peut exiger une certaine adaptation, c’est-à-dire un compromis inauthentique.

Le fait d’être constamment surveillé et surveillé empêche au mieux l’authenticité, et au pire la rend presque impossible. Ainsi, les politiciens ne peuvent pas être authentiques, car ils doivent toujours apparaître confiants et presque impeccables plutôt que de montrer un doute ou une vulnérabilité honnête. Les politiciens sont sur la scène du théâtre de la vie, où ils doivent accomplir leur art de convaincre et de plaire à des groupes de personnes ayant des valeurs, des aspirations, des croyances, des rêves et des besoins différents. Ainsi, en politique, l’authenticité est au moins difficile à maintenir, bien qu’un politicien puisse avoir une capacité d’autoréflexion bien développée et le désir d’assurer la cohérence entre ses actions et ses valeurs, et peut donc être capable d’atteindre l’authenticité dans certaines situations. Néanmoins, le public s’attend à ce que les politiciens tiennent leurs promesses, et l’essentiel est toujours la prospérité, l’emploi et la sécurité, donc dans ce contexte, l’authenticité prend la deuxième place devant d’autres préoccupations.

La tentative d’atteindre l’authenticité personnelle est également exacerbée par les technologies de plus en plus avancées qui inondent la perception individuelle de la réalité d’illusions, telles que la télévision. Une autre technologie de ce type est la réalité virtuelle. L’utilisation omniprésente de la réalité virtuelle peut éventuellement entraîner des difficultés à distinguer les expériences virtuelles des expériences réelles, exacerbant la propension humaine infinie à l’auto-tromperie et à l’auto-illusion. En général, l’avenir de l’expérience humaine est lié aux technologies émergentes d’amélioration, y compris les techniques d’amélioration de la mémoire et des capacités cognitives. La fusion de l’homme et de la machine peut nécessiter de nouvelles définitions de ce qu’est un être humain et générer de nouveaux problèmes liés à la nature et à l’identité humaines, à la nature de la société et aux significations de l’existence et de l’authenticité humaine.

Si la vie est un art, comme dans toute forme d’art, on peut approcher la perfection, mais on ne peut jamais y arriver. Quant à l’authenticité personnelle, certains ne s’en préoccupent jamais, certains la découvrent dans certaines actions, certains s’efforcent de l’approcher à la fois dans la vie et dans l’art, mais très peu arrivent jamais.

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