"Et respire..." ? La sociologie de la santé et de la maladie à l'heure du COVID‐19 | Tanger

Cette note a été écrite le 1er avril – Poisson d’avril ‐ 2020 alors que nous souhaitions tous avec véhémence que la pandémie mondiale de COVID‐19 puisse être oubliée comme une mauvaise blague. J’ai mis la date car à ce stade, on sent que personne ne sait où nous allons au cours des prochaines semaines et des prochains mois, et cela expose curieusement à écrire au centre de la pandémie. Généralement, une note de recherche pour notre revue est destinée à couvrir « un problème d’actualité et / ou un problème qui a été négligé d’une manière ou d’une autre, identifiant les priorités de recherche ». Ce n’est pas une forme qui a été beaucoup utilisée ces dernières années, mais je ne pense certainement pas que COVID‐19 soit ou risque d’être négligé. Je ne veux pas non plus principalement établir des priorités de recherche pour d’autres sociologues. Une partie de cela se fait par le biais de blogs ‐ par exemple Discover Society1 ou Cost of Living2 soutenus par la British Sociological Association – et les sociologues se sont illustrés sur les médias sociaux en offrant des réponses rapides à la crise sous différents angles. Alors que beaucoup voient dans la COVID-19 des preuves de l’importance de la solidarité ou de la protection sociale, et des menaces qui pèsent sur eux par les pratiques néolibérales, un grand nombre d’autres préoccupations et concepts de la sociologie de la santé et de la maladie se sentent également d’une pertinence urgente. Cependant, je veux commencer par insister sur le droit de ne pas se précipiter pour formuler de nouvelles recherches ou tirer des conclusions. Nous avons choisi en tant que revue de ne pas solliciter de nouveaux documents à ce stade relativement précoce de la pandémie de COVID‐19. Nul doute que de nombreuses études seront faites mais la recherche peut aussi prendre du temps. Nous suggérons à nos auteurs et à nos lecteurs de « respirer » quand ils le peuvent et de faire des recherches quand cela leur convient.

Notre expérience actuelle de la pandémie est une question de souffle. La propagation du COVID-19 a créé des risques dans le simple fait de respirer, et des difficultés pour ceux qui souffrent gravement du virus. Le document que cette note accompagne analyse une partie de la complexité de ce que les auteurs appellent « l’aérographie » pour les personnes à risque accru avant la COVID‐19. En écrivant avant cette crise, Brown, Buse, Lewis, Martin et Nettleton explorent les défis de la minimisation de l’infection pour les personnes vivant avec la fibrose kystique, et les moyens de les rendre pertinents pour ceux qui conçoivent, modifient et travaillent dans les hôpitaux contemporains. Comme le suggèrent les auteurs dans une nouvelle introduction, ces problèmes sont maintenant vécus à une plus grande échelle, alors que la société est confrontée au défi de réduire la transmission d’un virus aéroporté qui s’est propagé dans le monde en quelques mois. En se référant à des discussions antérieures sur les « circuits d’hygiène » (Fox 1997), la « prudence hygiénique » (Lowton et Gabe 2006) et la « stérilité en tant que produit de l’ordre spatial » (Mesman 2009), les auteurs développent leur propre palais théorique pour les études de la transmission des maladies. Le document est une fenêtre sur la vie de personnes pour qui la sensibilité à l’infection n’est pas nouvelle et qui vivent avec une distanciation physique et des mesures d’hygiène spéciales depuis des années. C’est particulièrement intéressant pour moi parce qu’il s’engage avec les matérialités et les pratiques de prévention de l’infection. Cela contraste avec une grande couverture médiatique et des commentaires sociologiques qui se sont jusqu’à présent davantage concentrés sur le discours.

Il y a déjà beaucoup de mots écrits sur les termes utilisés pour présenter le virus et il y en aura sans doute plus. En seulement une semaine de confinement au Royaume‐Uni, il semble y avoir eu un changement des métaphores militaires familières en sociologie médicale (Nerlich et James 2009, Sontag 1989) pour comparer COVID-19 aux catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre et les tsunamis. Les chercheurs ont attiré l’attention sur la manière dont le nationalisme et le racisme façonnent également les réponses, par exemple dans la discussion de Meinhof (2020) sur la sinophobie, le nouvel orientalisme et la pensée coloniale inscrits dans les récits des premières expériences de la région de Wuhan en Chine. La littérature établie sur la manière dont nous concevons la maladie peut offrir des comparaisons utiles pour les comptes rendus de l’événement COVID‐19, y compris les travaux sur d’autres épidémies telles que l’épidémie de grippe de 1918, Ebola et les épidémies de grippe aviaire et autre (par exemple Staniland et Smith 2013 dans le numéro spécial de cette revue sur les pandémies publié en 2013). Cependant, nous devrions également examiner ce que font les gens. Les gens ordinaires font partie d’un mouvement de masse hâtif pour le développement de virologies et d’épidémiologies laïques (d’après Davison et al. 1991) concernant la COVID-19. Les pratiques nouvelles et relancées comprennent le lavage des mains en profondeur, la désinfection, la couverture de la bouche et du nez, la distanciation physique, l’auto‐isolement ou la quarantaine et une attention particulière aux signes de la présence et de la gravité de la maladie. Des études de crowd sourcing de différents types commencent également à recueillir ces informations, qui trouvent un public en partie parce que les tests cliniques n’ont pas été faciles d’accès dans de nombreux pays.

D’autres pratiques et outils informant les actions gouvernementales ont également attiré l’attention. La semaine dernière Rhodes et al. (2020) a publié un article affirmant qu’à travers le monde, une grande partie de la discussion sur la COVID‐19 a été menée autour de modèles mathématiques et d’experts en modélisation ‐ une dynamique également discutée par Mansnerus (2013) pour les pandémies antérieures. Ces auteurs ont souligné les pressions pour réduire la distance entre les experts et le public, suggérant que « les gens veulent entrer, produire et traduire des preuves, pas simplement recevoir ». Les sociologues ont contesté l’influence apparente de « l’économie comportementale » dans la politique britannique. Bacevic (2020) et McGoey (2020) ont tous deux critiqué l’utilisation d’idées « nudge » pour tenter de prédire et de manipuler les actions des gens, insistant sur la capacité d’adaptation, de réflexion et d’organisation sociale des gens. Différents auteurs ont appelé à des efforts plus clairs pour impliquer le public dans l’élaboration des politiques (Kearnes et al. 2020, Pieri 2020). La tendance à restreindre les mouvements à l’intérieur et au‐delà des frontières des États-nations, et les efforts pour surveiller et exclure des groupes spécifiques, montrent les mouvements familiers par lesquels les populations sont imaginées à travers le prisme de la race et en référence aux frontières géopolitiques (Hoffman 2013, Kehr 2012, Taylor 2013).

D’autres types de politique ont été rencontrés en tant que militants autant que chercheurs. Des sociologues qui ont longtemps travaillé avec les défenseurs des groupes marginalisés ont rejoint les débats sur les difficultés des personnes en travail ou en logement précaire en observant les politiques de distanciation physique, expliquant comment elles peuvent lutter pour éviter l’infection par des mesures d’hygiène ou pour accéder aux soins dans les hôpitaux sous pression. Un exemple de réussite dans ce domaine est celui des lignes directrices de l’Institut National d’excellence en Santé et en Soins (NICE) sur l’accès aux soins intensifs (NICE 2020a). Ceux‐ci ont tenté de compléter l’utilisation de l’âge comme principe de priorisation ‐ utilisé seul dans certains pays européens pour décider de la manière d’attribuer les ventilateurs rares – avec une certaine fragilité. De nombreuses personnes se sont précipitées pour souligner que cela signifiait potentiellement refuser un traitement aux personnes vivant avec des déficiences physiques et mentales stables et les directives ont été modifiées en quelques jours (NICE 2020b). Pourtant, les débats qui se poursuivaient auparavant au niveau national à travers des institutions comme NICE se jouent également comme des drames locaux autour de l’admission à l’hôpital et de l’allocation des patients aux lits. Ceux-ci ont notamment demandé si les résidents des foyers de soins sociaux seront transférés ou réanimés en cas de maladie grave. Le rationnement a également lieu grâce à des efforts hâtifs de hiérarchisation de la COVID‐19 par rapport aux autres travaux qui remplissaient déjà les hôpitaux – oncologie, obstétrique, neurologie et autres. Dans ces efforts, différents professionnels de la santé sont invités à assumer de nouvelles responsabilités en plus des risques manifestes d’interaction avec des patients potentiels COVID‐19 (voir les travaux sur ces charges morales dans le cas d’Ebola de Broom and Broom 2017). Tout cela est un terrain familier pour les lecteurs de cette revue et sera un site important pour la recherche en sociologie médicale. Dans le même temps, la participation de différentes professions et organisations à l’application et à l’élaboration de réponses gouvernementales, y compris la police et l’armée, peut nécessiter un engagement plus large avec d’autres traditions sociologiques et criminologiques. Les études sur les catastrophes de santé publique encouragent également l’analyse de la manière dont les rôles des organisations gouvernementales, bénévoles et médiatiques sont perturbés et évoluent à ces moments (par exemple Klinenberg 2002, Treichler 1999). Des comparaisons peuvent à nouveau être trouvées dans le numéro spécial sur la pandémie de cette revue (par exemple French et Mykhalovskiy 2013, Gislason 2013).

En plus des études sur la politique des interventions de santé publique et de la prestation des soins de santé, nous voudrons sans doute faire des enquêtes approfondies sur l’expérience du personnel de santé, d’autres travailleurs essentiels et de patients ou de patients potentiels. Une question importante est la mesure dans laquelle les professionnels de santé sont invités à travailler en dehors de leur spécialité, dans de nouvelles hiérarchies et avec de nouvelles technologies numériques et biotechnologiques. Les familles de patients sont confrontées à des restrictions pénibles sur leur participation aux soins en raison du risque d’infection. Des récits sur ces expériences apparaissent à travers les médias sociaux, et des sociologues des pratiques numériques ont commencé à les commenter (Halford 2020 2020, Lupton 2020). Bien qu’il existe déjà des liens fertiles entre l’érudition en sociologie de la santé et de la maladie et les études de données critiques ou les études sur les nouveaux médias, j’espère que d’autres échanges se développeront à partir de l’expérience de COVID‐19, en s’appuyant explicitement sur les moyens existants de comprendre les récits de maladie et de donner des sens. En tant que discipline, la sociologie est depuis longtemps attentive aux formes d’exclusion et de marginalisation dans les interactions numériques ainsi qu’au potentiel de mobilisation collective des patients et de leurs défenseurs, et a beaucoup à offrir.

Ce n’est qu’une esquisse de directions fructueuses, à peine une carte. J’espère que les recherches futures en sociologie de la santé et de la maladie s’appuieront sur les forces établies de notre domaine mais seront ouvertes à d’autres domaines de la sociologie et au-delà, capitalisant sur un nouvel intérêt pour la santé et la maladie. Ce travail peut être fondé sur des questions communes sur l’intervention du gouvernement et les relations avec les citoyens et les personnes exclues de cette catégorie; diverses formes d’inégalité et de marginalité; les pratiques de vivre avec des risques pour les individus, les familles et les communautés dans différents sites et échelles; et offre ainsi des analyses de la capacité, de l’âgisme, du racisme et du nationalisme tels que développés à travers la pandémie de COVID‐19. Bien que tous ces éléments semblent pertinents dans le contexte du Royaume-Uni, les chercheurs devraient résister à la tentation occasionnelle de considérer le Royaume-Uni et le Service national de santé comme nécessairement différents, cherchant à penser de manière comparative et à s’appuyer sur l’analyse des expériences de différents pays ainsi que des institutions, acteurs et pratiques de santé mondiales. Cela devrait inclure d’être prêt à s’engager dans des travaux d’anthropologie sociale, de relations internationales, d’études scientifiques et technologiques et de domaines plus récents qui sont importants dans l’étude croissante de la santé mondiale.

Un dernier exemple d’ouverture à de nouveaux concepts et sujets peut être trouvé dans le Brown et al. le papier, qui a été mon impulsion pour l’écriture. De nombreuses études sociologiques classiques des hôpitaux ont peu fait de leur architecture matérielle et de leur organisation spatiale, car ils ont été conceptualisés principalement comme des institutions sociales, définies par des groupes professionnels travaillant dans des hiérarchies avec leurs propres formes d’action. Dans cet article, les auteurs montrent comment les conventions architecturales pour les hôpitaux ont évolué et permettent et limitent aujourd’hui les réponses au risque d’infection. Une telle analyse peut être vitale dans une situation où de nouveaux centres de traitement sont mis en place en quelques jours et où les centres existants sont radicalement reconfigurés. Pendant ce temps, à plus petite échelle, le type de « vaccination atmosphérique totale » considéré comme impossible par l’un de leurs répondants, un médecin respiratoire, est atteint s’il n’est toujours pas pratiqué en tant que personnes pour lutter pour rester en sécurité tout en soignant les patients dans ces « hôpitaux ». Les institutions comme les foyers de soins, les prisons et les centres d’immigration se révèlent être des endroits extrêmement dangereux dans lesquels le virus peut se propager rapidement et, dans le cas des foyers de soins, il se peut que les interventions médicales ne soient pas nombreuses.

Toutes ces questions sont explorées et débattues au fur et à mesure que j’écris, et il ne fait aucun doute que d’autres formes d’exclusion et de perturbation seront identifiées d’ici à la publication de ce document. J’espère vraiment que les choses vont un peu mieux d’ici là. Pourtant, je m’attends également à lire des récits riches de la pandémie de coronavirus en temps voulu qui montrent l’engagement de la sociologie à comprendre la marginalisation sous toutes ses formes et les liens entre les pratiques et les actions gouvernementales et l’expérience du virus en Europe et dans le reste du monde.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.